Le Petit Labo de l'Imaginaire
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 Nouvelle n°11

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Alchimiste
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Alchimiste


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MessageSujet: Nouvelle n°11   Nouvelle n°11 Icon_minitimeJeu 5 Déc - 21:10

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Le syndrome du puits


On a tous un monstre dans le placard. Que ce soit une armoire qu’on n’ose ouvrir à certaines heures, la porte du bureau qui grince la nuit, un grattement suspect dans les combles ou des yeux invisibles qui nous épient la nuit, dans cet instant court où l’on se dirige du couloir jusqu’au lit, toutes lumières éteintes. Le monstre du placard est un syndrome commun, ou une psychose commune. C’est un fait, mais surtout une affabulation collective, aussi enracinée en l’humanité que la peur instinctive des araignées et, de manière plus générale, à tout ce qui grouille, tout ce qu’on ne comprend pas, et tout ce qu’on ne voit pas.

Dans cette optique, les extraterrestres sont des êtres viles insectoïdes dépourvus d’âme, l’étranger est inhumain, et l’homme qui attend sans raison au coin de la rue nous veut peut-être du mal. Le monstre du placard reflète notre peur de l’inconnu, chez l’autre mais aussi chez soi. Car il n’y a pas de monstre physique, seulement une attirance maladive et paradoxale du danger. J’ai côtoyé de nombreux patients dans ma vie de psychiatre, et tous ou presque s’avouaient une peur s’apparentant de près ou de loin au phénomène décrit ci-dessus. J’en ai vu tant en vingt ans de pratique que je suis dans l’incapacité de lister des noms. Pourtant, chez certains d’entre eux, la sensation de danger était si présente qu’on la sentait quasi réelle.

Des gens bien portant, a priori sains d’esprit jusqu’au jour où leur sommeil s’est dégradé. Ces gens-là devenaient irascibles et inquiets. De manière générale, ils partageaient un mode de vie convenable. J’ai éliminé arbitrairement tous les habitués de l’alcool, de la drogue, des veillés tardifs, les cadres stressés et les petits employés opprimés victimes d’un sentiment apparent de persécution. Il en est donc ressorti un nombre non négligeable de personnes qui vivent au quotidien des impressions que la psychiatrie n’explique pas. Comment un homme sain peut-il, en l’espace de quelques jours et sans modification de ses habitudes ni événement notable, perdre l’appétit, la santé, et se sentir ainsi menacé tous les soirs ?

Jusqu’alors je ne pouvais réellement aider ces patients. Tout simplement parce que le milieu médical ne prend pas en compte ces données qui ne touchent qu’une minorité. Une minorité chaque année. Une minorité qui ose se rendre dans nos cabinets avec la peur au ventre d’être convié à un séjour en HP. En faisant le compte depuis mes archives, j’ai récolté ainsi plus de 640 cas similaires, et le chiffre augmente d’année en année, à moins que ce ne soit moi qui les ait mieux cerné avec le temps... Pourquoi me suis-je attelé à pareille tâche ? La réponse est si simple, si évidente que je me fais le

pari. Depuis des semaines, je ne dors presque plus. Je le sais, il m’a trouvé et je suis sa victime aujourd’hui.

Toutes les descriptions concordent. Permettez-moi donc de m’inclure dans le groupe de mes patients dans la suite de cette lettre.

Sans le voir, on le sent présent. Lorsqu’il arrive, une sueur froide coure sur notre échine et des frissons parcourent notre corps. C’est comme si la température avait baissé fraichement, mais non. Un sentiment de nausée suit alors, les pupilles s’agrandissent et le corps se fige.

Au début, cela se déroule comme dans un rêve, comme si c’était inéluctable et issu de la vie de tous les jours. Nous sommes pétrifiés dans notre lit, incapable de nous mouvoir, nous demandant s’il s’agit là d’un cauchemar naissant. Au lendemain, nous avons mal dormi, et ça arrive à tout le monde. Le quotidien dans notre monde si compliqué blesse les plus endurants d’entre nous. Une petite pilule et la nuit à venir sera meilleure. Mais non. Il revient toujours et les médicaments n’y changent rien. C’est ici que le symptôme est tout à fait reconnaissable. Qu’il devient une réalité.

Il y a toujours un endroit dans la chambre, l’appartement, la maison, où l’ombre semble plus persistante qu’ailleurs, que ce soit le fait du mobilier ou le placement de l’abat-jour, l’angle des murs. C’est à chaque fois d’ici qu’il opère, et cela même si le lieu sombre (que j’ai nommé le puits) se trouve dans une autre pièce. Un instant tout va bien. L’instant d’après il arrive, puis il est là, occulté dans sa zone d’ombre, guettant, insufflant son aura immonde. Peurs, cauchemars, angoisses, fatigue, tout se cumule pour créer une bulle de mal-être dans laquelle nous nous sentons plaqué, imprimé. Cette bulle se fond et fait petit à petit partie de nous. Nous devenons le mal-être qui nous accable.

A l’heure où j’écris pour fuir le sommeil, je sais qu’il se tient à distance. Mais quand les anti-sommeils et morphêbloquants ne suffiront plus, je sombrerai, comme trois nuits par semaine, et alors il répondra à l’appel que pourtant je ne lui adresse pas. Ai-je donc attiré sa présence en me penchant sur le sujet de son existence, suis-je devenu fou ? Je me permets de nier et de vous assurer de ma santé mentale. Assurément, mes chers confrères et consoeurs, vous douterez de mes propos. Et c’est en cela que j’ai pris l’abominable décision d’écrire cette lettre. Collègues, amis, famille, vous vous interrogez déjà sur mon sort et en ferez encore davantage bientôt. Je vous conjure de ne pas rechercher de preuves de son existence comme je l’ai fait ! Il existe, c’est un fait, une réalité. Quelque part sur notre terre évolue une créature, ou une race, jusqu’à présent inconnue, ou du moins méconnue. On retrouve sa trace dans les histoires, les contes pour enfants, les récits d’horreur au coin du feu, et tous n’y prêtent qu’une attention distraite. « Ce ne sont que des histoires ! » dit-on.

Je l’affirme et le rappelle : quelque chose existe en parallèle de notre monde visible. Quelque chose de noir et qui n’est pas amène. Nous savons tous qu’il existe et nous en avons tous peur. Tous, nous

avons la hantise du noir et des monstres, comme nous partageons la phobie de nos anciens prédateurs terriens et marins. Ces peurs, bien plus présentes chez nos enfants, s’estompent avec le développement de la raison. C’est la victoire de l’éducation sur les émotions et l’intuition, pensons-nous. Mais j’affirme aujourd’hui que ce n’est qu’un voile, une mystification, que la raison que nous prônons dans nos cultures est inadaptée et ne nous protègent pas.

J’ai tenté de m'engouffrer dans les cauchemars qu’il m’apporte. Et j’ai vu l’impensable, une part de son histoire, de leur histoire. Les démons sont là, ils rôdent et attendent leur heure de gloire. C’est une véritable race primitive, dont le corps de ses représentants est fait d’obscurité aujourd’hui, mais qui étaient bien physiques il y a des millénaires. Enfermés par des rituels maintenant oubliés. Ces sceaux faiblissent et leur pouvoir renaît lentement. Notre monde ne part pas à la dérive par notre seul fait. L’humanité va mal, car le mal se réveille. On ne pourra pas me faire changer d’avis ou, pour utiliser une sentence chère à nos congénères, me ramener à la raison. Si nous éprouvons tous à un moment de notre vie la présence du monstre dans le placard, ce n’est pas anodin. L’être des puits existe, même si notre inconscient décide trop souvent d’occulter sa présence. Nous sommes au moins 646 à l’avoir rencontré. Et ce n’est que le premier à renaître.

Savez-vous comment se sont terminées mes séances avec les 645 autres ?

Je ne les ai jamais revus.
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